Des dizaines de milliers de citoyens sont descendus dans les rues – certains pour fêter, d’autres pour protester – après que la plus vieille chaîne de télévision du Venezuela eut perdu son permis d’exploitation et eut quitté les ondes dimanche, ce qui a poussé de nombreux membres de l’IFEX à faire remarquer que le président […]
Des dizaines de milliers de citoyens sont descendus dans les rues – certains pour fêter, d’autres pour protester – après que la plus vieille chaîne de télévision du Venezuela eut perdu son permis d’exploitation et eut quitté les ondes dimanche, ce qui a poussé de nombreux membres de l’IFEX à faire remarquer que le président Hugo Chávez limitait la liberté d’expression.
Des manifestants des deux côtés de la question se sont rassemblés le 27 mai à Caracas après que le président Chávez eut refusé de renouveler le permis d’exploitation de Radio Caracas Television (RCTV), une station alliée à l’opposition, après 53 ans d’existence. La BBC rapporte que lors d’une des plus grandes manifestation tenues à Caracas, la police a lancé des gaz lacrymogènes et tiré des balles de caoutchouc sur une foule de près de 5 000 manifestants, dont certains lançaient à la police des pierres et des bouteilles.
Le président a déclaré avoir pris sa décision parce que la chaîne avait appuyé ouvertement la tentative de coup d’État d’avril 2002 et qu’elle « était devenue une menace pour le pays ». Il a également déclaré que la chaîne avait diffusé des spectacles qui ne répondaient pas aux normes de l’intérêt public.
Un certain nombre de groupes de défense de la liberté de la presse, cependant, ont déclaré que la fermeture était arbitraire et qu’elle représentait une érosion de la liberté de parole. « La fermeture de RCTV constitue une violation grave de la liberté d’expression et un recul majeur de la démocratie et du pluralisme », dit Reporters sans frontières (RSF). « Le président Chávez a réduit au silence la station de télévision la plus populaire du Venezuela et la seule station nationale à le critiquer, et il viole toutes les normes juridiques en saisissant l’équipement de RCTV au profit la nouvelle chaîne publique qui la remplace ».
Après trois mois d’enquête, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a conclu que la décision du gouvernement était « établie à l’avance et motivée politiquement ». « Dans les mois qui ont précédé et qui ont suivi l’annonce, le gouvernement n’a pas tenu d’audiences, n’a pas suivi de processus discernable de sélection, et n’a accordé à RCTV aucune possibilité de répondre aux assertions des hauts dirigeants », dit le CPJ.
Le CPJ constate également que les autres médias d’information limitent leur programmation critique par peur de perdre l’accès aux ondes. Des trois chaînes qui se sont rangées contre Chávez dans le coup d’État, deux ont depuis atténué leur couverture des nouvelles, rapporte Human Rights Watch. Une quatrième chaîne, Globovision, continue d’attaquer le gouvernement mais ne joint que 10 pour 100 des téléspectateurs, dit le journal britannique « The Guardian ».
RCTV, qui diffuse un grand nombre de téléromans et d’émissions de téléréalité, restera accessible sur le câble, mais la perte de sa fréquence publique de diffusion la privera de la majeure partie de son auditoire. À la place de RCTV, la nouvelle chaîne TVES, parrainée par l’État, a été inaugurée avec des .émissions qui, selon Chávez, refléteraient mieux la société.
Selon la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et son groupe affilié au Venezuela, le Syndicat national des travailleurs de la presse (Sindicato Nacional de Trabajadores de la Prensa, SNTP), la fermeture pourrait signifier la perte de leur emploi pour près de 3 000 travailleurs de RCTV, qui n’ont pas été consultés dans la décision.
La décision de ne pas renouveler le permis d’exploitation de RCTV a creusé encore davantage le grand clivage politique qui divise le Venezuela. Dimanche, pendant la dernière émission publique de RCTV, tandis que des milliers de protestataires marchaient, un bâillon de ruban gommé sur la bouche en brandissant des casseroles, des milliers d’autres se sont rassemblés pour appuyer le non-renouvellement, soulignant que le gouvernement avait raison de remplacer une chaîne connue pour sa propagande anti-Chávez.
Dans les semaines qui ont précédé la décision, les partisans du mouvement révolutionnaire des Tupamaros ont peint sur les murs de la station des messages d’appui au non-renouvellement de RCTV, accusant celle-ci de produire du journalisme « terroriste », rapporte l’Institut pour la presse et la société (Instituto Prensa y Sociedad, IPYS).
Certains politiciens, universitaires et commentateurs de gauche en Europe appuient aussi le gouvernement, citant le fait que 90 pour 100 des médias du Venezuela sont privés et opposés avec virulence à Chávez. « Il ne s’agit pas d’un cas de censure », déclare une groupe de particuliers éminents, comprenant notamment John Pilger et Howard Pinter, dans une lettre au « Guardian ». « Imaginez les conséquences si on découvrait que la BBC ou ITV étaient partie à un coup d’État contre le gouvernement. Le Venezuela mérite la même considération. »
Dans une lettre ouverte à Chávez, l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC) déclare que tandis que la position de RCTV pendant le déroulement du coup d’État était « déplorable » – parce que la station avait « violé le droit des Vénézuéliens à l’information à un moment crucial pour la démocratie dans leur pays » – elle recommande que le gouvernement mette en oeuvre un processus approprié pour enquêter et traduire les responsables devant les tribunaux.
Même après que RCTV eut diffusé sa dernière émission, l’AMARC rapporte que le lendemain, à Rubio, dans l’État de Táchira, un groupe de reporters d’une station de télévision locale était passé à tabac et contraint de remettre les séquences d’une manifestation d’étudiants contre la fermeture.
Par ailleurs, l’IPYS rapporte qu’un reporter qui couvrait la scène du spectacle a été abattu le 19 mai lors d’une fête d’anniversaire au domicile de sa mère à Maracay, dans le centre du Venezuela. Un homme armé a fait irruption dans la maison et a fait feu à six reprises sur Nelson Álvarez Narváez, chroniqueur au journal « El Siglo de Maracay ». On ne connaît pas les motifs du meurtre.
Consulter les sites suivants :
– RSF : http://www.rsf.org/article.php3?id_article=22326
– Lettre du CPJ à Chávez : http://tinyurl.com/2fur5j
– Rapport spécial du CPJ « L’Étatisme au Venezuela » : http://tinyurl.com/24tq8t
– FIJ : http://www.ifj.org/default.asp?index=4865&Language=EN
– AMARC : http://tinyurl.com/2ewr3k
– AMARC, à propos d’une attaque contre des reporters : http://tinyurl.com/227zhk
– Human Rights Watch : http://tinyurl.com/2fvo8z
– IPYS, à propos des Tupamaros : http://tinyurl.com/3aaaje
– IPYS, à propos d’Álvarez: http://tinyurl.com/yp7fvj
– SNTP : http://www.sntp.org.ve/mayo0716.html
– BBC News : http://tinyurl.com/28fksp
– Lettre parue dans le « Guardian » : http://tinyurl.com/34zpks
– « The Guardian » : http://tinyurl.com/26bdv3
(Photo : AP)
(29 mai 2007)