JED et RSF condamnent l'immobilisme de la justice militaire congolaise.
(JED/RSF/IFEX) – Alors que le 21 novembre 2009 marquera le premier anniversaire de l’assassinat, à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu (est du pays), du journaliste de Radio Okapi, Didace Namujimbo, Reporters sans frontières et Journaliste en danger (JED) condamnent l’immobilisme de la justice militaire congolaise. Un an après les faits, une dizaine de suspects ont certes été arrêtés, mais certains ont réussi à s’évader, et aucun procès n’a encore eu lieu.
« Après le fiasco du procès des assassins présumés de Serge Maheshe, il est invraisemblable que l’histoire se reproduise à nouveau. La lenteur des procédures et la flagrante volonté de faire capoter les enquêtes empêchent que justice soit rendue à Didace Namujimbo et à sa famille, mais également exposent l’ensemble de la profession à d’incessantes violences. A Bukavu, l’industrie du crime est couverte par l’impunité », ont déclaré Jean-François Julliard, secrétaire général de Reporters sans frontières, et Donat M’Baya Tshimanga, président de Journaliste en danger, qui demandent qu’une date soit enfin fixée pour l’ouverture de ce procès.
« Le procès des assassins de mon frère aura-t-il lieu un jour ? », s’interroge Déo Namujimbo, correspondant de Reporters sans frontières dans l’est de la République démocratique du Congo. « Honnêtement, je n’y crois plus beaucoup. Puisqu’il y a douze personnes aux arrêts, qu’attendent-ils pour les juger ? Tout se passe comme si la justice voulait que cette affaire tombe aux oubliettes. Cela me rappelle les cas de Serge Maheshe (abattu par balles le 13 juin 2007) et de Pascal Kabungulu Kibembi (tué devant ses enfants, dans la nuit du 1er août 2005). »
Dix-sept personnes sont considérées comme suspectes par l’auditorat militaire de Bukavu, mais douze seulement sont actuellement détenues à la prison centrale de la ville. Les autres sont en fuite ou se sont évadées. L’une d’elles est morte. Les prévenus sont poursuivis pour « assassinat », « association de malfaiteurs » et « recel d’objets volés ». Pour l’auditorat, il s’agit d’un « meurtre commis en vue de faciliter un vol ou d’en assurer l’impunité ».
La date de l’ouverture du procès, prévu au tribunal militaire de garnison de Bukavu, est sans cesse repoussée. L’auditorat a d’abord expliqué ce report par le fait que tout son personnel était affecté à la surveillance de la paie des militaires. Puis, les magistrats de l’armée ont prétendu avoir reçu comme instruction de juger en priorité les faits infractionnels commis dans le cadre de l’opération Kimya II. Enfin, le président du tribunal militaire de garnison a affirmé que « l’affaire du capitaine Remy » (dit T3 de la 10e région militaire), assassiné en début d’année, devait d’abord être élucidée.
Répondant aux préoccupations de Asha Mundeba, veuve de Didace Namujimbo, le lieutenant-colonel Laurent Mutata Luaba, auditeur militaire supérieur du Sud-Kivu, se réfugiait, dans sa lettre N°175/AMS/SK/2009 datant d’avril dernier, derrière le « secret légal de cette phase ».
A Bukavu, depuis le meurtre de Didace Namujimbo, un autre journaliste, Bruno Koko Chirambiza, présentateur du journal sur la station privée locale Radio Star, a été assassiné le 23 août 2009 de deux coups de poignard au thorax. A ce jour, aucune enquête n’a été ouverte. En septembre, trois femmes journalistes ont également reçu des menaces de mort très sérieuses. Répondant à une demande de JED, le Procureur de la République, Flory Kabange Numbi, a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire. « Aucun élément ne nous a encore été communiqué sur ce dossier. Encore une fois, la justice se cache derrière le secret de l’instruction pour masquer le manque d’avancée dans son enquête », estime Journaliste en danger. Le ministre de la Communication et des Médias, Lambert Mendé Omalanga, a déclaré vouloir améliorer la sécurité des journalistes, mais aucune mesure concrète n’a encore été prise.
Didace Namujimbo a été abattu d’une balle dans la tête le 21 novembre 2008, vers 21h30, alors qu’il rentrait chez lui, dans le quartier Ndendere de la commune d’Ibanda, à Bukavu.
Un mois à peine après le meurtre, Reporters sans frontières s’était rendue sur place pour enquêter sur ce drame et pour rencontrer les autorités civiles et militaires du Sud-Kivu. Dans un rapport intitulé « Bukavu, la cité des meurtres », publié en mars 2009, l’organisation avait dénoncé la confiscation de l’enquête par les militaires et avait appelé le président Joseph Kabila et son gouvernement à mettre sur pied une commission judiciaire spéciale, chargée de faire la lumière sur les assassinats de journalistes et de militants des droits de l’homme à Bukavu. Cette requête est restée sans suite